Fantaisies sur le temps
Le temps est une énigme et je sais plus d'un homme
À qui ce lourd mystère inspira des bouquins
Dont, s'ils ne sont pas lus, du moins le marocain
Orne tous les rayons de Québec ou de Rome.
Le temps est une énigme et l'on en fit un dieux;
Les Romains l'adoraient sous le nom de Saturne
Et en Grèce on chantait, en des fêtes nocturnes,
La gloire de Chronos, président de ces lieux.
Nous vivons dans le temps sans y être vraiment,
Car le passé n'est plus, le futur pas encore
Et si je puis parler d'un instant que j'ignore,
La présente seconde n'est qu'un boniment.
Par quel profond mystère ose-t-il dévorer
L'enfant que tout à l'heure il voulut engendrer?
Pourquoi le plant qui naît, l'insecte, la colombe
Ont-ils pris en naissant un billet pour la tombe?
Quand je regarde l'heure à mon cadran solaire,
Quand le soleil s'endort au sein des océans,
Quand je vois les étoiles luire au firmament,
Le temps n'est plus qu'un mot dans mon vocabulaire.
Hier, j'ai fait ceci ... hier, j'ai dit cela !
Mais si ce temps n'est plus, hélas !, qu'y puis-je faire?
Le temps n'est pas un chèque qu'on puisse contrefaire;
Le passé n'appartient qu'au Juge d'Au-delà.
Demain, je ferai mieux; demain, je serai sage !
Mains demain sera-t-il fidèle au rendez-vous?
Même s'il y était par un heureux présage
Alors saurai-je mieux me soustraire au remous?
Le temps est une énigme à qui veut l'expliquer.
La prudence m'induit donc encore à me taire;
Vivre l'instant présent sans autre commentaire,
Le vivre sagement sans métaphysiquer.